La facturation est une activité chronophage en Cuma. Devant ce constat, un ensemble d’acteurs s’est emparé de la problématique pour proposer des technologies capables de faire gagner du temps aux dirigeants de Cuma. Qu’en est-il vraiment ? Nous avons étudié le cas d’un outil d’aide à la facturation et identifié les freins et leviers à son appropriation.

L’agriculture est confrontée à de multiples défis : économiques, sociaux, environnementaux et numériques. Ces phénomènes concomitants tendent à complexifier les activités agricoles et participent à renouveler les compétences des chefs exploitants (Hervieu, Purseigle, 2013) [1]. Chaque jour, des décisions importantes sont prises dans les exploitations. C’est pourquoi l’aide à la décision et le recours aux nouvelles technologies c’est fortement développé dans ce secteur professionnel. Ces outils ont pour ambition de permettre aux agriculteurs de faire des choix cohérents pour répondre à des problématiques métiers spécifiques. Dans le cadre de cette enquête, nous nous sommes intéressés à l’intégration d’un outil d’aide à la facturation dans les pratiques de gestion des dirigeants de Cuma. Ce travail s’inscrit dans la lignée des recherches portant sur la transition numérique agricole de manière générale et au cas particulier de l’adéquation d’un outil d’aide à la facturation aux besoins des dirigeants de Cuma.

Notre enquête réalisée dans le cadre d’un stage à la chaire Agro-Machinisme & Nouvelles Technologies portée par UniLaSalle présente un fort ancrage territorial. Elle se concentre sur un périmètre restreint, celui de la Fédération des Cuma de Normandie Ouest (FCNO) où est mis en œuvre le Partenariat Européen pour l’Innovation dédié à l’intégration des objets connectés en Cuma. La diversité des organisations enquêtées (Cuma, FCNO, FR Cuma Ouest, FN Cuma) nous permet de reconstituer progressivement le champ complet des acteurs concernés par le sujet.

Dans un premier temps, nous avons rencontré les dirigeants de Cuma pour comprendre les pratiques de facturation et leurs limites. Nous pouvons résumer le processus de facturation de la manière suivante : 1) la récolte des unités travaillées auprès des adhérents, 2) la saisie des données dans le logiciel de comptabilité et 3) le suivi de la facturation. Les trésoriers identifient deux limites principales à ces pratiques : 1) une méthode imprécise derrière laquelle les adhérents ont la possibilité de se cacher et 2) des pratiques chronophages, le suivi de la facturation exigeant le plus de temps à traiter.

Dans un second temps, nous avons cherché à comprendre en quoi l’outil d’aide à la facturation peut répondre aux problématiques de gestion en Cuma. Le compteur connecté Karnott est un boitier traceur aimanté au matériel agricole. Il a pour objectif de simplifier le partage du matériel en remplaçant le traditionnel carnet papier de facturation. Il permet de visualiser les données du matériel comme le temps passé en parcelle et hors parcelle, les distances parcourues, la taille des surfaces travaillées, le matériel actif et inactif, l’avancement d’un chantier, le suivi des chauffeurs, la géolocalisation … Le compteur connecté Karnott est un outil de gestion et de management car il s’applique aux domaines de la comptabilité, des ressources humaines et de la logistique.

Nous résumons les finalités de l’outil pour les dirigeants de Cuma dans le tableau suivant :

Appropriation partielle de l’outil d’aide à la facturation

Les entretiens démontrent une appropriation partielle de l’outil corrélée à la fiabilité et la complexité d’utilisation du boitier Karnott. En effet, l’ensemble des Cuma enquêtées sont concernées par des pannes de boitiers provoquées par l’oxydation des composants. S’ajoute à la difficulté d’utiliser une technologie défaillante, un défaut de formation des usagers. Il serait pertinent d’identifier les prérequis indispensables à la maitrise de l’outil afin de cibler les actions de formation et de permettre aux dirigeants de Cuma de choisir avec discernement le matériel adapté à leurs besoins et compétences.

Intégration de l’outil d’aide à la facturation dans les pratiques de gestion en Cuma

Les résultats de l’enquête permettent une première formalisation des origines et motivations à l’engagement des dirigeants de Cuma dans des pratiques de gestion innovantes. On peut résumer leur discours en deux grandes postures :

Analyse des résistances à l’outil d’aide à la facturation

L’apport principal de notre recherche est une contribution à l’analyse des résistances aux objets connectés à partir de trois facteurs : le système, les objets connectés et les usagers (Chouk, Zied, 2016) [3].

L’outil présente un réel intérêt pour les Cuma qui rencontrent des problématiques de fraude. En revanche, il tend à complexifier la facturation. En effet, les dirigeants ont l’impression « d’acheter du temps » cependant l’outil ne permet pas de s’affranchir du contrôle des données. La complexité d’utilisation et la fiabilité de l’outil étant les deux principaux obstacles à son appropriation. S’agissant de l’adéquation de l’outil aux besoins des dirigeants, il existe un décalage. En effet, l’outil d’aide à la facturation tend à simplifier la récolte et la saisie des données mais ne solutionne pas toujours le suivi de la facturation, qui d’après le retour des dirigeants est l’étape la plus couteuse en temps. Initialement pensé pour les agriculteurs manageurs, le boitier Karnott semble aussi convenir aux besoins des fédérations pour effectuer des diagnostics ponctuels à la demande des Cuma.

Célia Coquet, étudiante en M2 Sociologie 2020/2021

Pour tous renseignements techniques, consultez l’article suivant rédigé par Benoit Mercier : Quelles solutions pour le suivi des travaux en cuma ? 

[1] Hervieu, Bertrand, et François Purseigle. Sociologie des mondes agricoles. Armand Colin, 2013

[2] Dujarier, Marie Anne, Le travail du consommateur. Paris, La Découverte, 2008

[3] Chouk, Inès, et Zied Mani. Les objets connectés peuvent-ils susciter une résistance de la part des consommateurs ? Une étude netnographique. Décisions Marketing, 2016